Délais de recours devant les juridictions judiciaires : la prescription extinctive, garantie suffisante de la sécurité juridique
Considérant que la prescription extinctive offre, dans l’ordre judiciaire, une garantie suffisante de la sécurité juridique en conjurant le risque que des décisions soient perpétuellement contestables, la Cour de cassation refuse de transposer la jurisprudence Czabaj par laquelle le Conseil d’État soumet, en l’absence de délai spécifique opposable à son auteur, l’exercice de tout recours à un « délai raisonnable ».
Cass. ass. plén., 8 mars 2024, no 21-12560, BR (cassation CA Metz, 1er déc. 2020)
Cass. ass. plén., 8 mars 2024, no 21-21230, BR (cassation partielle CA Rouen, 17 juin 2021)
Outil permettant, selon la formule du doyen Jean Carbonnier, d’assurer « une meilleure administration de la justice par l’élimination des procès les plus poussiéreux »1, la prescription extinctive occupe, en droit privé, une place capitale. Ces arrêts rendus le 8 mars 2024 par l’assemblée plénière de la Cour de cassation en témoignent.
Saisies de contestations élevées par des sociétés commerciales contre des titres exécutoires émis par des collectivités territoriales, mais relevant, en application de régimes spécifiques, de la compétence des juridictions judiciaires, deux cours d’appel étaient confrontées à une même interrogation qui peut être ainsi formulée : lorsque le délai de recours contre un tel titre, fixé à deux mois2, pourrait être[...]
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J. Carbonnier, « Notes sur la prescription extinctive », RTD civ. 1952, p. 175.
CGCT, art. L. 1617-5, 2°, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017.
L’acte visait « le tribunal judiciaire ou le tribunal administratif compétent selon la nature de la créance ». La précision est importante : lorsque la notification indique l’ordre juridictionnel compétent sans préciser la juridiction compétente en son sein, elle fait courir le délai de recours car le juge mal saisi aurait de toute façon l’obligation de désigner, au sein de son ordre, la juridiction qu’il estime compétente (Cass. com., 6 juill. 2022, n° 19-19107).
CE, ass., 13 juill. 2016, n° 387763, M. Czabaj.
Le pourvoi principal portait sur la sanction du titre de recettes notifié au débiteur sans comporter l’ensemble des mentions prescrites par l’article L. 1617-5 du Code général des collectivités territoriales dont les nom, prénom et qualité de son auteur. Une cassation fut prononcée de ce chef, la Cour reprochant au juge d’appel d’avoir considéré que l’absence de ces mentions dans l’ampliation notifiée n’affectait pas la régularité de l’acte. La présente note n’en traitera guère et s’en tiendra au pourvoi incident, formé par la collectivité, qui se prévalait de la jurisprudence Czabaj.
Si certains arrêts antérieurs font application de l’article R. 421-5 du Code de justice administrative (par ex., Cass. com., 6 févr. 2019, n° 17-11889), d’autres se réfèrent également, voire exclusivement, à l’article 680 du CPC (par ex., Cass. com., 10 mai 2011, n° 10-14160). De plus, par jugement du 14 juin 2023, une juridiction de fond avait interrogé la Cour de cassation sur l’applicabilité, aux recours formés contre les titres exécutoires émis par l’ONIAM, de la prescription de l’article 2224 du Code civil en lieu et place des dispositions du CJA (v. infra).
Pour un rappel et une présentation de cette solution v. par ex., Cass. 2e civ., 3 déc. 2015, n° 14-14909 : L. Mayer, GPL 9 févr. 2016, n° GPL257b2.
Elle résulte d’une lecture combinée des articles R. 811-2 et R. 751-1 et suivants du Code de justice administrative et d’une jurisprudence qui retient que l’acte de notification du jugement qui ne comporte pas les mentions relatives aux voies et délais de recours, ou qui comporte des mentions erronées, ne fait pas courir le délai d’appel (CE, 5 nov. 2020, n° 432290).
L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet, « Délai de recours : point trop n’en faut », AJDA 2016, p. 1629.
V. par ex., G. Eveillard, « Délai raisonnable – Le délai pour agir devant le juge administratif », Dr. adm. 2016, n° 12, comm. 63 ; X. Souvignet, « Sécurité juridique et délai raisonnable : l’usage et le mésusage des notions », JCP G 2016, n° 51, p. 2387 ; F. Poulet, « Sécurité juridique et fermeture du prétoire », AJDA 2019, p. 1088 ; O. Mamoudy, « Czabaj : une tardiveté pas comme les autres ! », AJDA 2020, p. 649.
Expression empruntée à L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet, « Délai de recours : point trop n’en faut », AJDA 2016, p. 1629.
Expression empruntée à M. l’avocat général (avis sur l’affaire Cora, p. 13).
Mais aussi, pour les voies de recours, par la forclusion posée par l’article 528-1 du CPC dès lors que le jugement en cause n’a pas été notifié dans le délai de deux ans de son prononcé.
Et un équilibre est dans le même temps opéré entre l’intérêt du service public de la justice, et les droits substantiels que l’action permet de faire valoir. Sur cette présentation v. S. Amrani-Mekki, Le temps et le procès civil, 2002, Dalloz, nos 26 et s.
Était applicable, en l’espèce, le délai de quatre ans qui conditionne la recevabilité de l’action en recouvrement des collectivités territoriales (CGCT, art. L. 1617-5, 3°).
B. Plessix, « La prescription extinctive en droit administratif », RFDA 2006, p. 375.
J.-M. Sauvé, « Le dualisme juridictionnel : synergies et complémentarités », sept. 2016, consultable sur le site du Conseil d’État, https://lext.so/lRve3A.
L’avocat général évoquait, dans son avis, des « raisons culturelles » propres au Conseil d’État étrangères à « la logique judiciaire » (v. avis sur l’affaire Cora, p. 13).
V. par ex., F. Julien-Laferrière, « Le juge n’est pas le législateur », AJDA 2016, p. 1769.
CEDH, 9 nov. 2023, nos 72173/17 et a., Legros c/ France.
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