L'outrage et l'abaya : le « ressenti raisonnable » au cœur du droit de la liberté d'expression
Le droit de la liberté d’expression repose essentiellement sur une appréciation raisonnable des comportements, afin de déterminer les messages qu’ils transmettent et les conséquences qu’ils provoquent. Il arrive néanmoins que les plus hautes autorités l’oublient, comme le montrent deux exemples récents.
Les restrictions de la liberté d’expression définissent de différentes manières les comportements qu’elles visent. Elles peuvent se référer au lieu ou au moment de l’expression, à la fonction du locuteur ou même du récepteur, comme lorsqu’on interdit de parler au conducteur du bus. Mais tous ces critères ne servent en général qu’à spécifier les éléments principaux, qui touchent à la signification du comportement – par exemple : contester l’existence d’un crime contre l’humanité –, et éventuellement aux conséquences qu’il provoque – par exemple : porter atteinte aux droits d’autrui. Cette étude voudrait rappeler que, sauf exception rarissime, l’application de ces restrictions ne dépend ni du ressenti subjectif d’un individu, ni de l’intention du locuteur, ni des seuls mots ou symboles qu’il emploie. Dans l’immense majorité des cas, le critère pertinent est le « ressenti raisonnable » : l’organe compétent devra apprécier l’expression litigieuse dans son contexte afin d’apprécier le message qu’elle paraît raisonnablement communiquer, les[...]
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L. n° 2024-449, 21 mai 2024, art. 19, dite loi SREN, introduisant un article 222-33-1-2 dans le Code pénal.
Saisine accessible en ligne sur le site du Conseil constitutionnel, p. 10 : https://lext.so/23qvWT.
Observations des députées et députés du groupe Socialistes et apparentés, accessibles en ligne sur le site du Conseil constitutionnel, p. 2 : https://lext.so/r7hCyV.
Contribution extérieure accessible en ligne sur le site du Conseil constitutionnel, § 33 : https://lext.so/cApFE5.
Observations du gouvernement, accessibles en ligne sur le site du Conseil constitutionnel, p. 16 et 18 : https://lext.so/FID3T7.
Cass. crim., 2 juill. 1975, n° 74-91.717 : Bull. crim., n° 174. V., sur cette question, B. Beignier, L’honneur et le droit, 2014 (1995), Paris, LGDJ, p. 157 et s., EAN : 9782275043579.
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V., dans le même sens, G. Calvès, « Comment comprendre et appliquer la loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux à l’école ? », in A.-C. Husser, P. Martin et Y. Verneuil (dir.), Laïcité scolaire. La loi de 2004 vingt ans après, 2024, Presses universitaires de Lyon, p. 99.
CE, avis, 27 nov. 1989, n° 346893 : RFDA 1990, p. 1, note J. Rivero.
G. Calvès, « Comment comprendre et appliquer la loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux à l’école ? », in A.-C. Husser, P. Martin et Y. Verneuil (dir.), Laïcité scolaire. La loi de 2004 vingt ans après, 2024, Presses universitaires de Lyon, p. 104.
Circ., 18 mai 2004, relative à la mise en œuvre de la loi du 15 mars 2004, NOR : MENG0401138C : https://lext.so/_eVuOA.
CE, 5 déc. 2007, n° 295671, Ghazal – CE, 5 déc. 2007, n° 285394, Singh.
R. Keller, « Le port d’un bandana ou d’un turban sikh dans un établissement scolaire », RFDA 2008, p. 529.
O. Dord, « Laïcité à l’école : l’obscure clarté de la circulaire “Fillon” du 18 mai 2004 », AJDA 2004, p. 1523 (cet article a fait l’objet d’un important plagiat dans l’article de F. Dieu, « Le Conseil d’État et la laïcité négative », La lettre juridique n° 289, 24 janv. 2008, accessible en ligne). Pour un usage récent de la distinction entre signes religieux par nature et signes religieux par destination, v. G. Éveillard, « Exit l’abaya et le qamis à l’école publique », Dr. adm. 2025, comm. 1.
Réponse du ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse à la question du sénateur Pierre-Antoine Levi, le 17 novembre 2022.
Interdiction de l’abaya à l’école : de quoi parle-t-on ? », TF1 info, 28 août 2023 : https://lext.so/-JjpCr.
CE, réf., 7 sept. 2023, n° 487891, Action droit des musulmans – CE, réf., 25 sept. 2023, n° 487896, La voix lycéenne – CE, 27 sept. 2024, n° 487944, La voix lycéenne et a.
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J.-M. Woehrling, « Qu’est-ce qu’un signe religieux ? », Société, droit et religion 2012, n° 2, p. 23.
G. Éveillard, « Exit l’abaya et le qamis à l’école publique », Dr. adm. 2025, comm. 1.
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Tamion, « L’interdiction de l’abaya à l’école et la boîte de Pandore de l’identification du signe religieux par l’État », JP Blog, 5 sept. 2023 : https://lext.so/8SwWs-.
Circ., 9 nov. 2022, Plan laïcité dans les écoles et les établissements scolaires, NOR : MENG 2232014C : https://lext.so/XQsu7k.
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T. Hochmann, « Prévisibilité et nécessité des standards dans la régulation de la liberté d’expression », in P. Mbongo (dir.), La régulation des médias et ses standards juridiques, 2011, Paris, Mare & Martin, p. 21-40.
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Plan
- 1Le « ressenti » en droit
- 1.1Présentation
- 1.2Le ressenti du contribuable
- 1.3Le ressenti en droit pénal : instrument ou fossoyeur de la légalité ?
- 1.4L’outrage et l’abaya : le « ressenti raisonnable » au cœur du droit de la liberté d’expression
- 1.5Penser l’office du juge à travers les standards – Réflexions sur un classique de la littérature du droit administratif
- 1.5.1I – La révélation d’une théorie de la justice administrative
- 1.5.2II – La figure du juge en question